Après 5 heures de vélo sous 35°c, Michèle, mère d’une amie de Bruxelles, m’accueille dans leur maison familiale en périphérie liégeoise. Yago, le vieux chien, a du mal à tenir : une odeur de boulets liégeois frites se fait sentir, il ne reste plus qu’à choisir la bière…
Enfin un peu d'ombre
Pour toi, quelles sont les différences entre les Flamands et les Wallons ?
La nonchalance des latins, vraiment c’est fort marqué, on est tranquille, sans pression. On a le goût avant toute chose de rassembler, de s’entendre avec les gens avec qui on est, avec qui on travaille. Pour nous c’est le relationnel avant toute chose.
Je n’aime pas mettre les gens dans les cases mais, pour que tu comprennes les grandes lignes, les Flamands sont plus réservés. Tu vas travailler en Flandre, c'est le rendement avant tout. Je dirais que le savoir-faire passe avant le savoir-être. Tu as plus de rigidité et d’exigence chez le Flamand que chez le Wallon. J’ai toujours habité en Wallonie, à 50 ans j’ai eu l’occasion de côtoyer pas mal de personnalités différentes. Notre voisin était marié à une néerlandophone donc on a pu voir comment elle abordait le travail, pas question de faire pause-carrière pour s’occuper des enfants, travail avant tout ! Alors que pour nous c’était les enfants d’abord.
J’ai aussi travaillé à Bruxelles où j’ai été étonné du manque de convivialité entre collègues, les gens ne sont pas proches, c’est plus des relations superficielles. En Wallonie on te pose des questions sur ton week-end, comment tu vas, comment vont tes enfants etc. Tout l’inverse de la Flandre, dans le cadre professionnel, mais aussi dans les relations humaines : le Wallon est plus dans la relation de voisinage. Les amis font partie de la vie intégrante des Wallons là où les Flamands préfèrent rester en famille et élargiront moins leur cercle social.
Tu sens aussi des différences de mentalité au sein de la région Wallonne ?
Oui, tu as quelques différences en fonction d'où tu habites. Je suis fort resté sur Liège mais j’ai aussi vécu à Marche-en-Famenne où les gens sont un peu plus fermés. Il y a des différences mais elles restent moins marquées qu’entre le nord et le sud.
À partir de 1960, on a été confronté à une forte immigration, beaucoup d’Italiens et d'Espagnols, en particulier grâce au site sidérurgique Cockerill-Sambre à Charleroi. Je vais un peu loin mais je pense que le Wallon est plus ouvert à l’étranger que le Flamand, il a été confronté à toutes sortes de cultures qui le rendent plus ouvert et plus apte et à l'accueil.
Sens-tu une mixité entre Flamands et Wallons à Bruxelles ?
Je n’ai pas assez d’expérience à Bruxelles pour te répondre mais je pense que les Wallons restent majoritaires et que la cohabitation se passe plus au moins bien même si tu as des quartiers fort flamands et fort wallons. Les gens restent pas mal entre eux en fonction de leur appartenance.
En Wallonie, du temps des années 1960-1970, c'était très riche avec la sidérurgie. Les choses se sont complètement inversées sur une trentaine d'années. Tout est mort maintenant, la Wallonie connaît un fort taux de chômage et c’est maintenant la Flandre qui est riche. Ils n’ont pas vraiment envie de payer pour nous, c'est pour ça qu’ils souhaitent se désolidariser.
Usine à l'abandon en périphérie de Liège.
Pour toi, la Belgique va continuer d’exister ?
Je n’ai pas l’impression, ce n’est pas ce que je souhaite mais ça me semble être un divorce consommé depuis tellement longtemps que je me demande encore pour quelle raison on nous maintient ensemble… Enfin, je connais la raison, c’est Bruxelles, que personne ne veut lâcher. Je ne suis pas spécialement rattachiste mais il me semblerait plus facile que les Wallons se rattachent à la France, avec Bruxelles peut-être, et les Flamands de leur côté, seuls ou avec les Pays-bas. Je trouve que c’est trop compliqué pour diriger notre pays. On reste sans gouvernement pendant des tas de mois, on devient la risée de plein d’autres pays, on a des tas de ministres… Au bout d’un moment, faut qu’on arrête.
(NLDR. Voir le docu-fiction "Bye Bye Belgium", réalisé en 2006 où le présentateur vedette du journal télévisé annonce la déclaration unilatérale d’indépendance de la Flandre).
Taux de chômage des communautés linguistiques en Belgique (source).
Tu as connu la Wallonie “wallone” ?
Je parlais wallon liégeois avec mes grands-parents. À l'école primaire on avait quelques cours, d’ailleurs mon fils aîné de 30 ans en a eu aussi, mais c’était surtout dans le langage parlé, on ne l’écrivait plus. Pour dire je vais chercher quelque chose dans le frigo on dirait : “Dj'va qweri un saqwè dins l'frigo". C’était très chantant avec beaucoup d’accents toniques mais ça fait dix ans que je ne le parle plus. Dans mes collègues j’en ai que 2 ou 3 qui le parle mais ça reste surtout spécifique aux anciens de plus de 60 ans.
Jusqu'à présent, ce statut de « langues régionales endogènes » n’a pas de répercussions concrètes sur la politique linguistique.